Depuis 2011, Conflans représente un lieu de refuge pour des Tibétains fuyant leur pays, le toit du Monde, désormais sous le joug chinois. Face aux arrivées de plus en plus nombreuses, un bidonville grandit aux pieds de la déchetterie d’Achères. Zoom sur ce havre de paix tibétain ancré au confluent de l’Oise et de la Seine.

Un phare dans la longue nuit de l’exil. Quand les premiers arrivants ont mis le pied sur le bateau « Je Sers », la dernière représentante avec Le Lien à Lyon des paroisses fluviales françaises, la situation tibétaine était peu connue des Yvelinois et des Français plus généralement. Depuis sept ans, Conflans, la capitale française de la batellerie située entre les départements des Yvelines et du Val-d’Oise, au confluent de l’Oise et de la Seine, attire une communauté tibétaine. Celle-ci ne cesse de grandir et ce, malgré les solutions d’hébergement qui leur sont proposées par les préfectures et communes concernées ou encore les familles d’accueil volontaires. Ce point d’amarrage d’exilés tibétains serait né d’un drôle de hasard.
Rade vers un monde libre
Selon Patrick, un pénichard de Conflans, une assistante sociale conflanaise serait partie en voyage au Tibet en 2010 et aurait laissé à une famille tibétaine pour laquelle il devenait compliqué de rester dans le pays, sa carte de visite avec le nom de la commune yvelinoise, au cas où… Au cas où un jour, ils passeraient par là. « La carte de visite n’est pas tombée dans l’oubli, bien au contraire !, commente Patrick. Elle aura redonné espoir à bon nombre d’exilés du Pays des Neiges qui ont rejoint Conflans. » Aujourd’hui, lorsque l’on interroge les nouveaux arrivants tibétains, ils ne savent pas vraiment pourquoi la communauté s’est fixée à Conflans mais tous étaient sûrs, en tout cas, d’y trouver de l’aide, une échappatoire à leur vie d’avant.

Depuis les premiers « embarqués », le bateau « Je Sers » a logé et nourri des centaines de Tibétains. La Pierre Blanche qui œuvre dans l’accueil d’urgence et l’hébergement en aide beaucoup à régulariser leurs situations, à traduire leurs histoires respectives, le parcours qu’ils ont emprunté pour arriver jusqu’ici. Cette association d’accueil et d’hébergement de personnes en difficulté a d’ailleurs été agréée en juillet 2017 Centre d’hébergement d’urgence pour migrants (Chum). Mais c’était sans compter un contrôle de la commission de sécurité qui a fait fermer, cet automne, le Je Sers en tant que dortoir, obligeant l’association à se contenter des maisons et familles d’accueils. Ces dernières seraient de moins en moins nombreuses selon les bénévoles. « Au début, il y en avait une quarantaine, aujourd’hui beaucoup moins car des normes de surface d’hébergement sont apparues, ce qui complique la mission des familles d’accueil, souligne Dominique, un Parisien hébergeant depuis un peu plus d’un an un Tibétain de 23 ans. Les normes à respecter en France sont nombreuses et souvent paralysantes. D’autre part, l’accueil peut s’étaler sur plusieurs mois voire plusieurs années, c’est une vraie cohabitation, et il y a toujours plus d’arrivées, ce qui est démoralisant. » C’est l’absence de système anti-incendie qui aura privé le Je Sers de sa possibilité de loger ses occupants.
Sous les tentes et la taule
Face à l’afflux grandissant des arrivées, les places sur le bateau-chapelle et les péniches attenantes n’auraient de toute façon pas suffi. Cet espoir collectif né d’une belle rencontre au Tibet il y a huit ans a très vite trouvé ses limites. A tel point que les nouveaux arrivants ont dû très vite opter pour la tente. En décembre 2017, un campement établi au Pointil avait été évacué. Les campeurs tibétains avaient à l’époque tous été relogés.
Pas sûr qu’il en soit de même pour les occupants du campement qui grandit au pied d’une déchetterie depuis quelques mois, de l’autre côté de la rive, à Achères. « Ils sont à peu près 350 à vivre sous des tentes et le campement s’étend chaque semaine », a constaté une bénévole du Je Sers préférant garder l’anonymat. Celle-ci constate que pour deux à trois arrivées hebdomadaires il y a quelques années, les exilés sont aujourd’hui une dizaine, chaque semaine, à frapper à la porte de la paroisse fluviale et à rejoindre comme les autres le bidonville d’Achères. Plusieurs fois par semaine, elle vient à la rencontre des nouveaux arrivants et distribue les dons alimentaires et vestimentaires au campement. « C’est vite l’anarchie, les gens déposent ça devant le campement ou le bateau et les dons s’entassent sans bénéficier équitablement à tous les réfugiés », explique-t-elle. Avant les Tibétains, cette bénévole s’occupait déjà très activement de communautés dans le besoin offrait son aide aux mineurs isolés afghans. « Il faut bien faire quelque chose pour ces gens-là », confie-t-elle.
« Le campement s’étend chaque semaine »

Depuis cet été, le bidonville a doublé de surface obligeant les derniers arrivés à monter leur tente au bord de la carrière d’exploitation d’Achères. Le futur port du Grand-Paris sortira de terre d’ici 2025 non loin de là, à quelques centaines de mètres. Malgré les avertissements de risque de noyade et d’enlisement placardés un peu partout sur le site, les habitations de fortune se multiplient à tel point qu’il reste tout juste la place pour se glisser et se frayer un chemin entre les toiles Quechua et Wanabee.
Au pied du mur
Si la municipalité a souligné la nécessité d’une évacuation avant la chute des températures, l’hiver et ses dangers ne sont pas les seuls à menacer la communauté. Les travaux en vue de l’aménagement du futur port du Grand-Paris avancent à grands coups de pelleteuses. Le froissement des toiles des tentes se fond aujourd’hui dans le bruit de plus en plus proche et tonitruant des tractopelles et autres engins de chantier. « Ils n’attendent que leur départ pour poursuivre leur avancée et respecter leur calendrier pour la mise en service du futur port, prévue à l’aube 2025. Et si la commune et la préfecture les fait évacuer, elles ne sont pas obligées de les reloger si aucune solution d’hébergement existe et ce, malgré le fait que ce soit des réfugiés politiques. Seul un dépôt de plainte contre l’Etat pourrait faire quelque chose », soulève Dominique, le bénévole, sans trop d’illusions. Achères est un épiphénomène comme le souligne Marc Honoré, maire (LR) de la commune. « J’ai contacté la préfecture des Yvelines et des Régions, en vain, explique-t-il. Nous n’avons aucune solution à leur proposer. Je sais ce que la préfecture souhaite, un gymnase qu’on leur mettrait à disposition mais c’est impossible. On a déjà donné à Achères, c’est à l’État de prendre ses responsabilités. »
Axelle BICHON